Description
Albert Londres disait de notre métier qu’il est l’art de « porter la plume dans la plaie ». En ce début 2019, une plaie béante empoisonne la vie camerounaise : la disparition des Libertés pourtant chèrement acquises au cours des « Années de braise », une trentaine d’années auparavant. L’illustration la plus crue, la plus cruelle de cette plongée en dictature, c’est l’arrestation dans domicile privé, dans la rue et en d’autres lieux , de centaines de citoyens camerounais que l’on inculpera de charges les plus loufoques, devant le Tribunal militaire.
Lorsqu’arrive une telle forfaiture, le journaliste raconte les faits dans des reportages. L’éditorialiste dit son indignation dans des textes qui peuvent faire date. Mais l’affaire, selon la bonne vieille règle médiatique – une info en chasse une autre- passe, et les victimes continuent leur vie ordinaire de prisonniers d’opinion, ponctuée par les péripéties d’un procès, à la Kafka, peut-être, mais qui consacre l’injustice et légitime le supplice.
Afin que cette fournée de Camerounais ne s’abîme ainsi dans l’anonymat et la pourriture de nos prisons, nous avons, au quotidien Le Jour, décidé de raconter les vies de ces hommes et femmes emprisonnés, dans le but de montrer au grand jour, mais surtout à leurs bourreaux, la hideur de cet acte d’incarcération qui brisait des vies, et quelles vies! Un brillant ingénieur et entrepreneur par-ci, des médecins par là, des enseignants plus loin, sans compter ces modestes hommes et femmes qui à la force de leurs bras, entretiennent des familles nombreuses et nécessiteuses. Et dont le seul crime avait été celui d’exprimer leur opinion.
Le reportage est l’arme la plus redoutable du journalisme. Car il permet de montrer, comme avec un miroir, ce qui est. Ce qui hait, aussi…Odeurs, couleurs, saveurs, tout ce ressenti posé sur autant de toiles d’impressionniste permettent au delà de la réalité de saisir ce qu’il y a derrière toute action, l’âme humaine. Qu’est-ce, le portrait, sinon un reportage avec pour sujet un être humain? Nous avons donc décidé de faire, chaque jour, dans une série à la Scherazade un portrait de prisonnier. Le portrait comme genre journalistique, comporte un obstacle qui pouvait paraître rédhibitoire, dans notre entreprise: la rencontre physique avec le sujet, pour pouvoir le raconter au mieux. Nos sujets étaient enfermés dans la prison la plus célèbre de notre pays. Il a donc fallu à nos reporters, le franchissement d’un obstacle difficile pour pouvoir réaliser leur ouvrage. Ils l’ont fait, et chaque portrait fut le résultat d’un gymkhana parsemé d’embûches et face auxquels il a fallu ruser souvent. Mais on l’a fait. Et ces portraits, publiés tous les jours, pendant neuf mois, ont été là, pour réconforter les suppliciés sur le fait qu’ils ne sont pas tombés dans l’oubli, mais aussi pour rappeler aux tortionnaires qu’ils détenaient des vies.
Ces portraits, ont été écrits pour montrer toute la bêtise qu’il y a pour un homme à déshumaniser son semblable.
Nous en avons fait un livre, afin de graver cela dans de la pierre. Afin que cela ne se reproduise plus.
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